Il n'y a d'analyse qu'hors sens

Il n’y a pas de Sujets dans la science
A l’heure de notre actualité la plus récente où, plus que jamais, il est question de réduire le sujet parlant à sa génétique, « et donc » (car c’est le raisonnement qui est appliqué ici) à un comportement qui en manifesterait l’essence perverse, délinquante, ou meurtrière –comportement qui d’ailleurs devrait être endigué avant même qu’il ne fasse « gêne » pour un Autre, politique, notamment, qui ne se réclame que de lui-même. Et s’il est question de réduction du sujet dans le social, cela n’est pas sans conséquences sur le mode même d’accueil de ce dernier par ceux qui ont charge de cette fonction éventuelle. Autant dire que c’est l’ensemble des rouages de la prise en charge de la souffrance psychique (et même parfois somatique) qui est touché jusque dans la formation des praticiens. C’est un message qui transpire amplement lorsque l’on entend –de bonnes sources- que les filières de psychopathologie et de psychologie clinique font de moins en moins de bons voisins à l’université, à côté de ce qui répond au patern, et que par là, quand ça chauffe pour ceux-là, l’expropriation ne tient qu’à un fil pour la psychanalyse.

 

C’est un des symptômes, qui, procédant du ravinement qu’on tente sur le sujet, apparaît comme « formation de substitution » à la jouissance non-dupe d’un certain discours qui préfère l’objet (humain, entendu).

Avec l’article 52 et ce qui a vite été mis en œuvre autour dudit article, dans beaucoup d’établissements universitaires, on ne peut que s’étonner (s’il s’agit encore de cela) d’y trouver la volonté d’initier littéralement le quidam étudiant, aux quatre grands courants de ce qu’on appelle la psychothérapie. On épinglera alors les signifiants « analytique » ou « psychanalytique » semblant ici résumer et définir une fois pour toutes, la psychanalyse…

On prend acte de l’ampleur d’une telle proposition et de l’interprétation qui peut en être donnée : comment se repérer ? A partir de quoi s’oriente l’étudiant ? Peut-il entendre ce qui soutient le fond d’un tel amalgame passant pour ne pas en être un, mais donc Un ? Que pourra-t-il proposer à son tour à ceux qui viendront le trouver, le cas échéant, pour ce qui cloche ? Espérons que ce ne soit pas une réponse par la même cloche…

Leur promet-on une science ou La science ? C’est en tout cas un argument souvent utilisé par une certaine frange vis-à-vis de ceux qui soutiennent le chiffre de l’inconscient. Ce chiffre ne répond malheureusement pas à la science car l’inconscient ne répond pas à la « manie (…) de l’utilité »[1].

Faut-il supposer alors aux inconscients dont nous sommes, l’absence de rigueur, l’absence de savoir autour de ce qui fonde l’effectuation de leur tâche ?

Encore faut-il s’interroger sur le statut du savoir en question, à quel niveau il est manié ?

Devant ces interpellations, nous mesurons le mot, Lacan a apporté une dialectique et une articulation sans pareilles.

 

« C’est de ce qu’il fuie (au sens : tonneau) qu’un discours prend son sens (…) »[2]

Lacan va prendre donc toute la mesure de ce que l’effet de sens est au savoir, c’est-à-dire, au sein de l’expérience analytique qui, justement, entend un sujet qui a un discours (parlêtre), c’est que c’est de sa fuite que le discours prend son sens, à savoir pour aller au bout de son assertion : « soit, : de ce que ses effets soient impossibles à calculer »[3]. Il va même jusqu’à affirmer par là que « Le comble du sens, il est susceptible que c’est l’énigme »[4]. Aussi, « Le sens du sens », « Le signe du signe », qu’ils y soient déchiffrés pour reprendre le terme de Lacan, n’en éteint pas l’énigme, que l’éclairage d’un signe par un autre ne veut pas dire que celui-ci en livre « la structure »[5]. Dans cette voie, pour Lacan, le sens n’« empêche pas de faire trou ». Ce trou, selon lui, c’est le réel du sexe même, du fait qu’il ne fait pas rapport mais jouissance, jouissance « de tonneaux, -tous plus futiles les uns que les autres »[6].

Pour Lacan, c’est le lot de l’être parlant tout aussi bien du discours de la science qui « s’institue bien du réel »[7] ou du discours universitaire « puisqu’il spécule de l’insensé en tant que tel et qu’en ce sens ce qu’il peut produire de meilleur est le mot d’esprit qui pourtant lui fait peur »[8].

Pour autant, Lacan n’oublie pas les psychanalystes.

 

« A quoi sert-il ce chiffrage »[9]

Comme nous commencions à l’évoquer avec Lacan, « le chiffrage est la jouissance sexuelle certes, c’est développé dans le livre de Freud, et bien assez pour en conclure que ce qu’il implique, c’est que c’est là que ça fait obstacle au rapport sexuel établi, donc à ce que jamais puisse s’écrire ce rapport : je veux dire que le langage en fasse jamais autre que d’une chicane infinie »[10].

En d’autres termes, le non-rapport implique un trou, un trou dans le sens, dans le sens même du déchiffrage du symptôme.

La clinique du côté du sens du symptôme, c’est finalement laisser le sujet jouir du sens de celui-ci, pendant que le clinicien « j’ouit » . Cela ne dénonce pas pour autant toute rigueur chez ce dernier mais le limite car, le sens, précisément, n’est pas la structure.

C’est ce que Lacan avance lorsque –soucieux d’une certaine démonstration et de sa transmissibilité- nous dit que cela ne peut être « certain et transmissible que du discours hystérique. C’est même en quoi, dit-il, s’y manifeste un réel proche du discours scientifique »[11].

De cette façon, Lacan franchit le Rubicon, celui de la structure des types cliniques, là où « ce qui relève de la même structure, n’a pas forcément le même sens »[12].

 

« Il n’y a d’analyse que du particulier »[13]

Nous reprenons ainsi à notre compte cette autre assertion, logique, de Lacan, qui porte à son point vif la spécificité de notre tâche dans l’analyse, que ce soit chez l’hystérique ou l’obsessionnel, ce n’est pas du « sens unique que procède la structure, et surtout pas quand elle atteint au discours »[14] mais « qu’il n’y a de communication dans l’analyse que par une voie qui transcende le sens, celle qui procède de la supposition d’un sujet au savoir inconscient, soit au chiffrage »[15]

 

Le « Sujet-Supposé-Savoir » ou l’Autre nom du hors-sens

« C’est de l’amour qui s’adresse au savoir »[16] affirme Lacan. Ce n’est pas le désir même si Freud a parlé de la Wisstrieb, la fameuse pulsion épistémophilique ; pour Lacan il n’y a pas de désir de savoir mais un « je n’en veux rien savoir » qui est fondateur selon lui de la « passion » pour « l’ignorance »[17]. Ca ne peut donc, dans cette veine, être le sens « qui fait entrée dans la matrice du discours, (…) mais le signe »[18]. Lacan pointe là les psychanalystes pour leur rappeler que le sens, précisément ne fait aucun savoir, pas plus que l’interprétation qui prendrait appui sur ce dernier.

En revanche, « Ce qu’ils ont à savoir, c’est qu’il y en a un de savoir qui ne calcule pas, mais qui n’en travaille pas moins pour la jouissance », le signifiant. « C’est le seul point dont le discours analytique a à se brancher sur la science, mais si l’inconscient témoigne d’un réel qui lui soit propre, c’est inversement là notre chance d’élucider comment le langage véhicule dans le nombre le réel dont la science s’élabore »[19].

Comment alors rendre transmissible ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ?

 
Il n’y a de psychanalyse qu’hors sens

 
Lacan répond par ce qui fait le réel en question, c’est-à-dire impossible, par où doit répondre la contingence même « qu’un réel s’atteste qui, pour ne pas en être mieux fondé, soit transmissible par la fuite à quoi répond tout discours »[20].

Ce qui entraîne ici au moins deux conséquences :

1)      qu’il n’y a d’analyse qu’hors sens et, qu’en ce sens,

2)       il n’y a pas de transmission en psychanalyse, le désir de l’analyste ne se transmet pas.

On peut en conclure alors –en écho d’un certain constat que fera Lacan-, qu’il n’y a de transmission du désir de l’analyste que dans la mesure où tout analyste pourra témoigner de la façon dont il aura réinventé la psychanalyse.

 
Maxime Le Douaron

Cagnes-sur-Mer, le 3 avril 2008.