L'intervention de l'analyste

Arguments

Les risques pour l’analyste dans certains cas difficiles c’est « d’être pris » selon la formule de Jean Clavreul, dans le contre-transfert, en termes de sensations d’agression ou de punition de la part du patient, de réactions dépressives voire de chute narcissique, avec la tentation donc plus globalement d’entrer dans la sphère réelle de ce qui se passe dans la cure ramenant celle-ci à un rapport duel tout à fait dommageable. En particulier, j’ai pu observer qu’à certaines occasions particulières liées à l’intensité de la détresse du sujet ou à l’impuissance de l’analyste, les deux pouvant trouver leur conjonction, on peut je crois être amené à différents écueils que je vais essayer de nommer un peu bien que tout cela ressorte du connu :

Interprétations trop précoces, constructions scabreuses, agressivité, actes manqués, acting, objectivation du sujet par des interprétations toutes faites soit liées à des interprétations que l’on a reçu de son ou ses analystes ou collègues, bref d’un tiers, objectivation liée aussi à l’insertion radicale de l’analysant dans la ou les théories de l’analyste, retrait, silence au sens mutique de protection ou agressif, lapsus.

La question n’est pas de dire qu’il ne faut pas du tout de contre-transfert mais de se poser la question du pourquoi et même du comment on est assigné à telle ou telle place. Je souligne tout cela car autant ce sont des voies de fourvoiement facilement empruntables avec certains patients qui inscrivent leur désarroi dans quelque chose d’extrême, mais qui apparaissent bien évidemment, à moindre mesure pourrait on dire, avec n’importe quel analysant « tranquillement névrosé ». Elles y sont de toute façon.

 

Interprétation et scander

Alors je reviens sur le propos de l’interprétation justement puisque l’interprétation reste, dans la nuance que l’on peut apporter à son emploi, l’opérateur un peu originaire de la cure analytique, je vous lis un petit passage de ce qu’en dit Clavreul :

« Cette question de l’interprétation est fondamentale : on ne sort pas de l’interprétation en prétendant qu’il y a une interprétation vraie, les autres étant réputées fausses. Plutôt que nous interroger sur ce que peut être la « bonne » ou la « mauvaise » interprétation, celle qui est juste, pertinente, considérons de toute façon que nous interprétons : nul ne peut échapper à l’interprétation »[1]. Voilà qui est dit, que l’on parle ou que l’on ne parle pas, la parole ou la non parole se soutient à partir de quelque chose et que ce quelque chose, même à être considéré comme un petit rien est toujours également susceptible d’être interprété, c’est la marque même de l’être parlant.

Clavreul poursuit : « Si la vérité doit être assenée, c’est ce qu’on appelle l’interprétation sauvage. Et, si le psychanalyste considère qu’il doit manœuvrer habilement pour faire passer cette vérité, il interprétera tout en termes de « résistance » à cette vérité de l’inconscient ; mais cette théorisation est, en dépit de ce qu’il croit, une forme d’interprétation qui vise en fait à des effets d’endoctrinement »[2]. Comme nous le constatons, on n’en sort pas, comme il dit, de l’interprétation, et en plus, comme je vous le disais, c’est très facile de se tromper et d’imposer pour continuer à se tromper car parfois on y comprend rien. J’ajouterai dans le même sens que la résistance est du côté de l’imaginaire et la défense du côté du réel, mais qui dit résistance voire défense veut dire aussi que l’analyste peut en soutenir la force sans le savoir.

« La vérité est un mi-dire, et l’erreur pour le psychanalyste est de se référer à la veritas du latin, toujours marquée de l’idée d’une « vérité absolue », incontournable et à laquelle il faut se soumettre comme on se soumet à la loi de Dieu ou à la loi scientifique. Quand nous, psychanalystes, nous parlons de la vérité, il s’agit bien plutôt de l’alètheia, ce qui se découvre, ce qui apparaît à la faveur du dévoilement. Si Heidegger se réfère aux présocratiques, si Lacan parle d’Héraclite, c’est parce qu’il s’agit de cet éblouissement fugitif mais bouleversant qui permet que soit vu tout un paysage jusqu’alors méconnu. Et, pourtant, à certains égards, cela est destiné à rester dans l’ombre, à rester effacé sous la forme d’une trace qui deviendra signifiante, en même temps que marquée d’une sorte d’amnésie, parce que tout se passe comme si on l’avait toujours su, disait Freud »[3].

Le psychanalyste donc, pour Clavreul, doit toujours revenir à la vérité marquée d’une barre, pas-toute, afin de ne pas tomber dans ce que peut avoir d’anéantissant l’interprétation à partir de La Vérité comme on écrit la Loi avec un L majuscule comme dans la religion souligne Clavreul à la page précédente.

On peut entendre cela comme un banal rappel mais justement, ce qui est constitutif d’une des qualités essentielles d’un analyste, c’est d’entendre les choses comme une première fois dans ce que celle-ci, précisément, révèle de fulgurance voire d’un certain ravissement et comme le dit Christian Bobin dans cette jolie formule, « Le ravissement contient en lui-même sa propre intelligence » (in L’inespéré).

Mais continuons, car, alors, qu’est-ce qui peut laisser émerger la vérité du sujet au sens de son dévoilement ?
Je suis Clavreul dans son développement car, précisément, il évoque la question de la scansion, en la redéfinissant par ce qu’elle n’est pas pour en souligner l’efficace :
D’abord, dit-il, « Il faut reprendre ce que disait Lacan sur la pratique du psychanalyste quand il disait que l’interprétation est marquée par la scansion, la scansion étant ce terme de prosodie que Lacan n’a certainement pas utilisé à la légère », nous voilà prévenus, et surtout rappelés sur la trace suspensive de toute interprétation.«  La scansion, ajoute Clavreul, ce n’est pas ce qu’en on reconnu  -dans un usage absurde- un certain nombre de lacanistes pour qui il s’agirait d’interrompre au bout de quelques minutes le patient : cette coupure, cette fin de séance qui vient interrompre le discours de l’analysant en un point « signifiant », quitte à en accentuer l’effet par un « jeu de signifiants », généralement en faisant un jeu de mots, plus souvent au niveau de l’Almanach Vermot que du Canard enchaîné. Cette coupure laisse le patient assurément perplexe mais guère plus avancé qu’auparavant »[4].

Ainsi, la scansion ne s’emploie pas n’importe comment et doit pouvoir s’expliquer de son usage de telle ou telle façon, c’est là qu’on en revient à notre préoccupation précédente somme toute fondamentale, cela est un travail essentiel dans la pratique d’un psychanalyste mais assurément pas des plus faciles à élaborer.