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Faire un geste ou "laisser-se-faire le geste"
Une femme vient me consulter suite au choc qu'elle a subi quelques jours après la mort brutale de son mari, ayant découvert que celui-ci avait mené, à côté de son mariage, "plusieurs autres vies", une vie de "coureur" qu'elle n'avait jamais soupçonnée. Cette découverte rendant tout deuil impossible puisque suspendu à l'incompréhension et à la haine pour les trahisons de cet homme se redoublait aussi par le fait que la vie de coureur du défunt laissait sa veuve avec des dettes considérables.
Dans sa demande, elle avait besoin de comprendre pourquoi son mari "lui avait fait ça", mais surtout de saisir le comment de son aveuglement.
Si plusieurs mois de cure à un rythme soutenu lui permirent de répondre à nombre de ses questions et de sortir de son état d'effroi et de rumination, il apparut bientôt que ce qui l'avait mené à vivre une vie aveugle, c'était sa peur de la vie même, sa peur et son retrait face à toute confrontation et à tout saisissement appropriatif de son existence.
Elle avait été élevée par des parents qui avaient dessiné un véritable carcan autour d'elle et donc en elle parce qu'eux-mêmes avaient peur du monde extérieur, danger à tous les coins de rues dans le discours et l'attitude du père, honte et angoisse face aux autres dans la posture maternelle, qui assuraient ainsi à leur fille une prison qu'elle avait fait sienne, avec pour effet majeur une inhibition massive dans toute sa vie relationnelle qu'elle n'avait pu traverser que de manière superficielle et frisant l'agoraphobie.
Au cours d'une séance, alors qu'elle évoquait son souhait de pouvoir justement vivre sa vie quotidienne, sa vie sociale et le traitement des aléas de celles-ci autrement que dans la terreur, elle fit le geste de ramener ses mains les paumes ouvertes vers elle, au-dessus de ses épaules avec un grand "ouf" en laissant retomber ses bras qui aurait voulu entraîner un relâchement consécutif du corps entier. Comme si elle mimait la position qu'elle souhaitait acquérir dans son existence.
Le thérapeute, orienté dans son attention par le travail de François Roustang pour qui les gestes du corps sont la solution, le problème déjà résolu à travers le "corps pensant" après que le "corps-imagination" en ait produit l'anticipation, ne manquera pas à ce moment d'inviter cette femme à porter toute sa concentration au geste qu'elle venait d'effectuer, bien qu'un peu surprise (confusion).
Après cette focalisation, je lui demandais au détour d'une petite induction de s'installer dans la sensation de ses pieds sur le sol, de ses bras reposant sur les accoudoirs du fauteuil, de percevoir sa respiration, et elle ferma les yeux (installation de la transe).
Je lui propose alors de "laisser son corps refaire" l'ensemble du geste qu'elle avait fait volontairement juste avant, en abandonnant la volonté, en abandonnant tout effort et toute réflexion, de laisser quelque chose en elle effectuer ce geste, juste "attendre qu'il se fasse" comme aime à le dire Roustang.
Me plongeant moi-même dans une attente tranquille et concentrée, j'observa au bout de plusieurs minutes ses mains qui commencèrent à se décoller de ses jambes et ses bras à la suite, très lentement et de façon saccadée d'abord, puis plus fluide ensuite. Après encore dix bonnes minutes ses mains vinrent presque à s'arrêter au niveau de ses épaules comme si chaque instant, chaque seconde de ce geste atteignait à une intensité cruciale.
Enfin, ses mains et ses bras se relâchèrent d'un seul coup sur une grande expiration en ouvrant les yeux. Elle me regarda étonnée en faisant ce commentaire: "c'est fou, ça fait du bien, qu'est-ce qui s'est passé?"
Nous nous sommes quittés là-dessus et la revis deux semaines plus tard. Toute sa vie s'était transformée, elle avait réussit à s'occuper notamment de démarches administratives urgentes qui traînaient parce qu'elle était trop angoissée et dans une grande méfiance à l'égard de ses interlocuteurs. Plusieurs autres difficultés étaient intervenues depuis et elle fut surprise d'avoir pu les résoudre avec une lucidité et une sérénité qu'elle ne s'était jamais connue auparavant.
Plus encore, c'est toutes ses relations qui s'étaient trouvées modifiées et ses proches lui ont même demandé ce qui avait bien pu se passer pour qu'elle apparaisse maintenant avec une présence plus consistante et affirmée.
Je la revis un mois après et estima que sa cure était terminée.
A travers le bref exposé de ce cas, nous pourrions faire notre cette phrase de François Roustang: " (...) le geste peut rassembler en un tout l'esprit, le coeur, le corps et à l'histoire personnelle" (in Il suffit d'un geste, éd.odile Jacob, 2003, p.83).